Après les commentaires des politiques, des sociologues, des journalistes sur les émeutes, c'est au tour des écrivains de prendre la parole. Le débat commence donc à voler un peu plus haut.
Le premier écrivain d'importance qui s'exprima fut Patrick Besson. Il le fit brillament par une phrase qui restera dans les annales : " Avant, ces jeunes volaient des autos ; maintenant, ils les incendient, sachant qu'il ne leur sert à rien d'aller quelque part, puisqu'on ne les laissera pas entrer."
Phrase fort spirituelle, en effet. Mais beaucoup trop indulgente pour ces jeunes voyous.
Le second grand écrivain à intervenir sur ce sujet, Gabriel Matzneff, a une vision plus réaliste des événements et pose une question qui fera hurler les belles âmes, ce qui prouve sa pertinence : " pourquoi (...) ces garçons d’origine africaine traînent-ils toute la journée, ne s’intéressent-ils à rien, s’ennuient, semblent n’avoir aucune curiosité intellectuelle, aucune soif d’apprendre, de s’instruire, de lire de beaux livres ?"
A cette question, il fournit un excellent début de réponse, auquel je souscris. Et que je complète ainsi :
- le dénigrement perpétuel de la France par les Français de souche. Leur mise en cause continuelle de notre passé colonial, leurs incessants appels à la "repentance", la prosternation de beaucoup devant le "modèle américain" couplé au désir de fusion de notre pays dans le magma européen. Comment les émigrés pourraient-ils aimer et admirer une France que ses ressortissants dénigrent si obstinément ?
- le naufrage de l'enseignement. L'école n'est plus un lieu d'apprentissage du savoir, mais de débats "sociétaux".
- l'indicible médiocrité des programmes de télévision, facteurs d'abrutissement quand ils devraient l'être d'enrichissement intellectuel. Gabriel Matzneff fut jadis sévère avec la télévision de M. Wladimir "d'Endormesson". Il ne pouvait prévoir ce qui viendrait après !
Je pourrais poursuivre plus avant, mais ma contribution au débat me paraît suffisante pour aujourd'hui. Laissons la parole aux autres forumistes.
Bravo pour vos goûts littéraires, Titus. Je crois, moi aussi, que les plus belles pages de notre presse sont l'oeuvre d'écrivains. Et je vois dans la raréfaction des écrivains dans la presse contemporaine la cause principale de la désaffection des lecteurs.
Certes,et heureusement, il reste Patrick Besson, dont Fayard rééditera en janvier l'épais recueil "La vie quotidienne de Patrick Besson sous le règne de François Mitterrand", intitialement paru chez Albin Michel, et auparavant, en petits volumes, chez divers éditeurs. (Qui prétend que les recueils de chroniques ne se vendent pas ?)
Mais Gabriel Matzneff, Nabe, Christian Laborde n'ont plus ou très peu de tribunes dans la presse. Jean Dutourd a été viré de France-Soir. Philippe Muray, lui, s'est réfugié dans un journal de province, "La Montagne" (qui fut autrefois le journal d'Alexandre Viallate).
Gabriel Matzneff s'agace souvent que trop de gens lui parlent de ses chroniques de presse, et préférerait qu'on l'entretienne de ses autres ouvrages. C'est oublier qu'un grand écrivain est tout entier dans chaque page de son oeuvre, à quelque genre qu'elle appartienne. Les recueils de chroniques de Matzneff sont d'une valeur égale, littérairement parlant, à ses romans ou à ses Carnets noirs.
Témoin cette récente chronique sur les émeutes, dans laquelle Matzneff ose mettre en cause l'absence totale de curiosité intellectuelle des "jeunes" de banlieue. Voilà qui ne sera pas du goût de nos intellectuels de gauche ! Eh bien oui, Matzneff a raison : qui empêche ces "jeunes" de fréquenter les bibliothèques municipales ou les centres culturels qui se multiplient dans les banlieues ? Mais non, ils préfèrent végéter au pied de leurs immeubles, insultant les filles de leur communauté coupables de trop s'occidentaliser. Quant à leurs congénèrent qui tentent de suivre une scolarité normale en vue d'échapper à leur cité, ils sont traités de "bouffons" ou de "traitres", et tabassés. Ces jeunes gens se construisent leur propre prison et tirent à vue sur ceux qui tentent de s'en évader.
Merci, Gabriel Matzneff, d'avoir, une nouvelle fois, fait preuve de courage en osant dire des vérités que personne n'ose plus prononcer. Heureusement que les flics de la pensée ne viennent pas sur ce site, sinon ils vous diaboliseraient comme il le font en ce moment avec le pauvre Finkielkraut. Mais il est vrai que vous, c'est déjà fait depuis longtemps.
Tout n'est pas perdu, Michel Baron : Gabriel Matzneff a retrouvé une tribune dans les kiosques. Sa superbe chronique sur les émeutes sera reprise dans le premier numéro de La Presse littéraire, qui sortira le 15 décembre : http://vebret.typepad.com/la_presse_littraire/ (je remarque une faute d'orthographe dans le titre ! Mais tel est bien le lien que je viens de copier. La faute sera peut-être corrigée plus tard).
Cette nouvelle revue, qui succède au Journal de la culture, où nous avons pu lire il y a quelques mois un mémorable dossier Matzneff, titrera sur Gide. En 2005, il faut le faire ! Non, vraiment, rien n'est perdu. D'autant plus que Gabriel Matzneff tient également tribune régulière dans La Revue littéraire.
Vos réflexions sont très intéressantes mais je ne crois pas que l' on puisse ainsi stigmatiser les Arabes ou les Noirs.
Ce sont les jeunes en général qui ne s'intéressent plus à rien. Pourquoi ?
Notre société actuelle n'encourage plus du tout à l'effort. La valeur "travail" ne signifie plus rien pour eux. Tout est prétexte à revendications. Il faudrait que tout soit ludique et dès que quelque chose demande un peu d'effort intellectuel ces pauvres enfants s'ennuient...
Cela ne me semble pas étranger avec les violences actuelles. Comment s'exprimer, dialoguer quand on possède un vocabulaire aussi riche que celui de la Star Academy? Et bien on ne peut pas...alors on frappe, on brûle, on dégrade...
Les jeunes exigent du respect et de la considération. Soit.
Mais ce n'est pas avec les actes récents qu'ils se rendent service bien au contraire ils se pénalisent.
Et le mousquetaire François d'Orcival l'a également soumise à la réflexion des lecteurs de Valeurs actuelles.
Elle est par ailleurs mise en ligne, évoquée, parfois âprement discutée, sur de nombreux sites ou forums : si l'on tape "Matzneff" et "émeutes" sur Google, on ne trouve pas moins de 669 références !
Cette chronique est tout simplement l'un des textes les plus connus de Matzneff !
